Il faut sauver les antibiotiques

La résistance aux antibiotiques est un problème majeur, en France et dans le monde, mais la tendance peut être inversée. Le Pr Pierre Tattevin, président de la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF), revient sur cet enjeu de santé publique.

Qu’est-ce que l’antibiorésistance ?

L’antibiorésistance correspond à la perte d’efficacité d’un antibiotique normalement actif. L’émergence des résistances aux antibiotiques est largement liée à une utilisation trop large des antibiotiques. Ce phénomène est amplifié par les risques de transmission des bactéries résistantes à l’entourage. En France, entre 5 et 10 % de la population générale héberge des bactéries multirésistantes en 2018, soit 10 fois plus qu’en 2000. La multirésistance résulte du cumul de l’acquisition des résistances, aggravées par chaque nouvelle antibiothérapie.

Quels sont les impacts de ce phénomène ?

L’antibiorésistance ne concerne pas uniquement la discipline des maladies infectieuses : de nombreux progrès de la médecine moderne ont bénéficié du développement de l’antibiothérapie : les greffes de moelle ou d’organes solides (foie, cœur, poumon, rein, etc.), les chimiothérapies anticancéreuses, l’implantation de pacemakers ou de prothèses ont bénéficié de la sécurité apportée par la possibilité de traiter par antibiotiques les complications infectieuses, notamment lorsque les défenses immunitaires sont défaillantes. Ces progrès pourraient être remis en question : dans les pays les plus touchés par l’antibiorésistance, des décès surviennent au cours de traitements habituellement simples du cancer, du fait de l’impossibilité de traiter une infection bactérienne intercurrente. Si l’antibiorésistance poursuit sa progression, c’est toute la médecine moderne qui pourrait être remise en question.

Les antibiotiques n’agissent pas sur les cellules humaines, mais sur les bactéries, qui se défendent en développant des résistances, transmises à d’autres bactéries. De fait, les antibiotiques sont à manier avec plus de précautions que les autres médicaments.

Quel est le niveau de risque en France ?

La France se situe à un niveau de risque intermédiaire en Europe, entre les pays du Sud, qui souffrent d’un niveau de résistance nettement plus élevé, lié à un mésusage des antibiotiques, et les pays du Nord, exemplaires en termes d’hygiène et de consommation. A titre d’exemple, un Français consomme 3 fois plus d’antibiotiques qu’un Néerlandais dans sa vie, alors que le niveau de santé et l’espérance de vie de ces populations sont très proches.

Il est encore temps d’agir, et des progrès notables ont été accomplis : les vaccins anti-pneumococciques ont permis de faire baisser la résistance, en diminuant les situations nécessitant des antibiotiques. La transmission intra-hospitalière des staphylocoques a été réduite grâce à l’hygiène et aux solutions hydro-alcooliques : en conséquence, la proportion de staphylocoques dorés résistants à l’hôpital est passée de 40 % en 2002 à 15 % en 2017.

Quels sont aujourd’hui les moyens pour faire face à l’antibiorésistance ?

Les antibiotiques n’agissent pas sur les cellules humaines, mais sur les bactéries, qui se défendent en développant des résistances, transmises à d’autres bactéries. De fait, les antibiotiques sont à manier avec plus de précautions que les autres médicaments. Pour éviter l’émergence des souches résistantes, il faut respecter les règles de bon usage. L’enjeu est de préserver le patrimoine des antibiotiques dont nous disposons, en 2018, en les utilisant de manière raisonnée, pour qu’ils restent efficaces pour nos enfants et petits-enfants. Ces traitements sont d’autant plus précieux qu’ils sont difficiles à développer, et que leur efficacité peut s’estomper au fil des années, si les bactéries accumulent les résistances, sous la pression des consommations d’antibiotiques. La tâche est rude pour les laboratoires pharmaceutiques, car ce marché est particulièrement risqué en termes de retours sur investissement : peu d’acteurs industriels restent investis dans la découverte de nouveaux antibiotiques, en 2018. Raison de plus pour préserver l’efficacité de notre capital, en luttant contre l’antibiorésistance !

Gézabelle Hauray


Papier d’ouverture extrait du dossier Antibiorésistance, réalisé par CommEdition, paru dans Le Monde daté du 17 novembre 2018